
Vous êtes-vous déjà retrouvé face à quelqu’un qui se vante d’exploits passés, vous laissant sceptique et désireux d’une démonstration concrète ? Si c’est le cas, vous avez instinctivement saisi l’essence de l’expression latine « Hic Rhodus, hic salta ». Plus qu’une simple phrase, c’est une invitation percutante à joindre le geste à la parole, un défi lancé à ceux dont les dires dépassent les actes.
Ce proverbe, qui a traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous, trouve son origine dans l’œuvre d’Ésope1, le célèbre fabuliste de la Grèce antique. Plongeons ensemble dans l’histoire pour découvrir la naissance et la signification profonde de cette expression intemporelle.
Imaginez la scène : un athlète, de retour de voyage, se pavane sur la place publique. Il narre avec emphase ses prouesses, et plus particulièrement un saut en longueur extraordinaire qu’il aurait réalisé sur l’île de Rhodes. « Si seulement vous aviez été là ! », s’exclame-t-il, « j’ai des témoins qui pourraient attester de mon saut phénoménal, un saut qu’aucun autre homme ne pourrait égaler ! »
Fatigué de ces vantardises, un des auditeurs, à l’esprit sans doute plus pragmatique, l’interrompt et trace une ligne sur le sol. D’un ton calme mais ferme, il lui lance alors le fameux défi : « Hic Rhodus, hic salta »2, ce qui se traduit littéralement par « Voici Rhodes, saute ici ».
La morale de l’histoire est limpide : les preuves valent mieux que les grands discours. Inutile d’invoquer des témoins absents ou des exploits lointains, la véritable valeur se démontre dans l’instant présent, ici et maintenant.
Si l’expression est née dans le contexte simple d’une fable, elle a connu une postérité remarquable, notamment grâce à son adoption par de grands penseurs.
Le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel a repris cette phrase dans la préface de ses Principes de la philosophie du droit. Cependant, avec une touche de malice intellectuelle, il s’est amusé de la polysémie du mot grec Rhodon, qui peut signifier à la fois « Rhodes » et « rose ». Il en a tiré la traduction : « Hier ist die Rose, hier tanze » (« Ici est la rose, danse ici »). Pour Hegel, cela signifiait que la philosophie ne doit pas se perdre dans des utopies lointaines, mais doit comprendre et agir sur le monde réel, la « rose » symbolisant le présent qu’il faut saisir.
Plus tard, Karl Marx, dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, a également utilisé l’expression pour souligner la nécessité pour le prolétariat de passer à l’action révolutionnaire concrète, plutôt que de se contenter de théories. Pour Marx, « Hic Rhodus, hic salta » était un appel à transformer la réalité par l’action, à prouver la validité des idées révolutionnaires par leur mise en pratique.
Au-delà de son contexte historique et philosophique, « Hic Rhodus, hic salta » conserve aujourd’hui toute sa pertinence. Dans un monde où les paroles s’envolent et où les apparences sont souvent reines, cette expression nous rappelle l’importance de l’authenticité et de la cohérence entre ce que nous disons et ce que nous faisons.
En somme, « Hic Rhodus, hic salta » est bien plus qu’une simple citation latine à placer dans une conversation pour briller en société. C’est un principe de vie, une philosophie de l’action qui nous enjoint à être les acteurs de notre propre légende, non pas en la racontant, mais en la vivant, ici et maintenant. Alors, la prochaine fois que vous entendrez de belles paroles, n’hésitez pas à lancer, avec un sourire entendu : « Hic Rhodus, hic salta ! ».