Quel avenir pour ChromeOS ?

ChromeOS

En 2025, ChromeOS a largement dépassé son stéréotype initial de « navigateur dans une boîte ». Le système d’exploitation de Google, autrefois perçu comme une curiosité limitée, est devenu une plateforme mature, sécurisée et d’une rapidité remarquable, dominant sans conteste le secteur de l’éducation sur des marchés clés comme les États-Unis. Cependant, cette image de maturité est sur le point d’être complètement bouleversée. L’avenir de ChromeOS n’est pas une évolution incrémentale ; il s’agit d’une transformation fondamentale, d’une refonte architecturale qui redéfinira la stratégie de Google pour l’informatique personnelle.

L’analyse de la trajectoire 2025-2026 révèle une double offensive. D’une part, une stratégie de marché agressive visant à saturer l’écosystème par le haut, avec la gamme « Chromebook Plus » ciblant les « prosumers », et par le bas, avec « ChromeOS Flex » capturant le parc de PC existant. D’autre part, et de manière bien plus critique, une fusion technique majeure se profile : ChromeOS, tel que nous le connaissons, est destiné à être absorbé par Android. Cet avenir n’est pas une simple consolidation ; c’est la création d’un écosystème unifié, alimenté par l’IA, conçu dans un but précis : livrer enfin bataille à l’écosystème unifié d’Apple.

Une stratégie en tenaille

L’ère de ChromeOS en tant que simple acteur de niche est révolue. Le marché mondial des Chromebooks, évalué à 5,6 milliards USD en 2024, est en passe d’atteindre 6,3 milliards USD en 2025. Les projections à plus long terme sont encore plus ambitieuses, visant 18,47 milliards USD d’ici 2034, ce qui représente un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 12,69 %. Si l’éducation reste le moteur principal, la croissance est de plus en plus tirée par l’adoption en entreprise, qui a augmenté de 28 %, et par les besoins du travail hybride, avec une hausse de 30 % des ventes.

Il est toutefois crucial de noter une disparité significative dans les données de part de marché. Alors que les rapports sur les ventes d’appareils (le flux) montrent une croissance explosive, comme la domination à 60 % du marché de l’éducation aux États-Unis, les analyses du parc installé mondial (le stock) peignent un tableau différent. Des rapports comme celui de SafeITExperts pour 2025, qui créditent Windows d’une part mondiale de 72,3 % et macOS de 4,35 % (les données pour « OS X » à 7,84 % semblant redondantes ou distinctes), ne listent même pas ChromeOS. La part de ChromeOS est vraisemblablement noyée dans la catégorie « Inconnu » (10,8 %) ou reste inférieure à celle de Linux (3,17 %).

Cette apparente contradiction s’explique : la croissance de ChromeOS est rapide mais récente. Le système n’a pas encore significativement érodé le parc mondial massif dominé par Windows. La stratégie de Google pour 2025 vise précisément à changer cette dynamique via une manœuvre en tenaille.

Le premier volet de cette tenaille est l’attaque du segment haut de gamme avec le label « Chromebook Plus ». Il ne s’agit pas d’un simple exercice marketing, mais d’une certification de configurations matérielles supérieures : plus de RAM, des processeurs plus performants et des écrans de meilleure qualité. L’objectif est de s’éloigner de l’image « budget »  qui a longtemps défini les Chromebooks, de justifier des marges plus élevées et de cibler activement les « prosumers » (consommateurs avertis) et les professionnels.

Le second volet, peut-être le plus agressif, est « ChromeOS Flex ». Cette initiative est la réponse directe de Google à un événement majeur du calendrier informatique : la fin du support de Windows 10 en octobre 2025. Cet événement va créer des millions de PC « orphelins », parfaitement fonctionnels mais incapables de migrer vers Windows 11 en raison d’exigences matérielles strictes. ChromeOS Flex est un système d’exploitation gratuit  conçu pour « redonner vie » à ce matériel existant, qu’il s’agisse de PC ou de Mac.

Le modèle économique de Flex est un cheval de Troie stratégique pour le marché de l’entreprise. Bien que le narratif marketing se concentre sur la durabilité et la réduction des déchets électroniques, la finalité est commerciale. Comme le résume crûment un commentaire d’utilisateur, à la question « Qu’est-ce que Google y gagne? », la réponse est « L’argent. […] Besoin de licences d’entreprise ». Le plan consiste à convertir ces millions d’installations gratuites de Flex en licences payantes « Chrome Enterprise Upgrade ». C’est cette mise à niveau qui permet l’intégration dans la console d’administration Google, le véritable produit que Google vend aux DSI (Directeurs des Systèmes d’Information) pour la gestion centralisée de leur flotte.

L’IA comme nouveau cœur du système

L’intelligence artificielle, et plus spécifiquement le modèle Gemini de Google, est le moteur principal de la nouvelle segmentation « Plus ». Il ne s’agit pas de fonctionnalités superficielles ou d’applications ajoutées, mais d’une intégration profonde au niveau du système d’exploitation lui-même. Les Chromebooks certifiés « Plus »  deviennent la porte d’entrée vers les fonctionnalités d’IA les plus exclusives.

Ces fonctionnalités incluent une assistance à la productivité avancée, telle que « Help me write » (Aide-moi à écrire) pour la génération et la reformulation de texte, et « Help me read » (Aide-moi à lire) pour résumer et simplifier des documents ou articles denses. Elles s’étendent à l’IA générative pour la création de fonds d’écran et d’arrière-plans de visioconférence personnalisés à partir d’une simple description textuelle. De plus, Google intègre des fonctionnalités phares de sa gamme de smartphones Pixel, notamment « Live Translate » (Traduction instantanée) et « Live Transcription ». 

L’architecture technique de cette intégration d’IA est hybride. D’une part, Google déploie des modèles locaux (on-device) pour les tâches rapides et nécessitant une faible latence. Les API mises à disposition des développeurs, comme la commande await LanguageModel.availability() pour vérifier la présence de Gemini Nano, confirment que des modèles légers s’exécutent directement sur la machine, préservant ainsi la confidentialité. D’autre part, les fonctionnalités les plus puissantes restent dépendantes du cloud. Les offres commerciales, telles que les 12 mois d’abonnement au « Google AI Pro plan » inclus avec l’achat d’un Acer Chromebook Plus 515, démontrent que l’accès aux modèles Pro les plus performants se fera via un modèle de service. 

Cette stratégie révèle un changement fondamental. Un document de Compugen le formule clairement : « Pour les Chromebooks, l’IA… est disponible via… Gemini chat… Chromebook Plus va encore plus loin… avec l’IA intégrée directement dans le système d’exploitation ». Historiquement, la différence entre un Chromebook à 200 € et un modèle haut de gamme à 800 € résidait presque exclusivement dans la qualité matérielle (écran, châssis, processeur) ; l’expérience logicielle était identique. Ce n’est plus le cas. Google réserve désormais ses innovations logicielles les plus significatives  à son matériel certifié haut de gamme. Il crée ainsi un « mur de fonctionnalités » (feature wall) qui justifie la montée en gamme et, pour la première fois, introduit un véritable cycle de mise à niveau logiciellement motivé, une stratégie qu’Apple maîtrise depuis longtemps.

L’écosystème applicatif

En 2025, l’état de l’écosystème applicatif de ChromeOS est une « crise d’identité » architecturale. Pour fonctionner, le système repose sur trois piliers technologiques distincts et cloisonnés, chacun comblant les lacunes des autres.

Le premier pilier, la voie stratégique et la vision originelle de Google, est celui des Progressive Web Apps (PWA). Aujourd’hui arrivées à maturité, les PWA sont considérées par Google comme « la meilleure façon de livrer votre application web pour ChromeOS ». Elles offrent une expérience quasi-native : elles sont installables, s’affichent dans le lanceur d’applications, s’intègrent à l’OS, fonctionnent hors ligne grâce aux « service workers »  et, atout majeur, contournent la friction et les commissions des App Stores. Cette approche est validée par des acteurs majeurs comme Hulu  et même pour des applications critiques en environnement sécurisé, où des entités remplacent leurs anciennes applications kiosque par des PWA, avec une échéance fixée à juillet 2025.

Le deuxième pilier, qui fournit la masse critique d’applications, est Android, via la machine virtuelle ArcVM. C’est lui qui donne accès aux millions d’applications du Google Play Store. Cependant, c’est aussi la source principale de la « mauvaise publicité » et des frustrations des utilisateurs. Les critiques récurrentes portent sur une fonctionnalité hors ligne jugée encore limitée  et une expérience utilisateur souvent dégradée par rapport à une application de bureau native, un problème particulièrement notable pour les suites bureautiques professionnelles.

Le troisième pilier est Crostini, le sous-système Linux. C’est le joker qui transforme un Chromebook d’un simple outil de consommation en un poste de développement viable. Techniquement, il s’agit d’un conteneur Debian (utilisant désormais la version 13)  fonctionnant au sein d’une machine virtuelle (basée sur LXD), permettant d’exécuter des applications Linux natives. Des outils essentiels comme VS Code, GIMP ou VLC  s’installent et s’intègrent de manière transparente dans le lanceur d’applications de ChromeOS.

Cette triple fondamentale est un casse-tête architectural. ChromeOS est un système d’exploitation basé sur Linux (Gentoo)  qui exécute nativement des applications web (PWA). Pour combler son déficit applicatif, il exécute un deuxième système d’exploitation (Android) dans une machine virtuelle (ArcVM). Et pour satisfaire les utilisateurs avancés et les développeurs, il exécute un troisième environnement (Debian) dans une autre machine virtuelle (Crostini). Cette complexité génère de la confusion pour l’utilisateur, notamment dans la gestion des fichiers, et représente un fardeau de maintenance considérable. C’est cette complexité technique, devenue intenable, qui rend la révolution de 2026 non seulement souhaitable, mais structurellement nécessaire.

La révolution de 2026

Le point de bascule a été officialisé lors du Snapdragon Summit 2025. Sameer Samat, Président de l’écosystème Android chez Google, a confirmé la rumeur persistante : la fusion d’Android et de ChromeOS. La terminologie employée est cruciale et techniquement précise : Google va « rebaser la technologie de ChromeOS sur Android » (« re-baselining the technology underneath it on Android »).

Il ne faut pas s’y tromper : il ne s’agit pas d’une fusion entre égaux, mais d’une absorption pure et simple. Les analyses des experts convergent : « Android sera le gagnant », « Chrome OS est en train de se faire anéantir », et le système « est sur le point d’être remplacé par Android ». Il est fort probable que la marque « ChromeOS » survive, mais en tant qu’ »expérience » utilisateur, une interface optimisée pour le format ordinateur portable. Le système d’exploitation sous-jacent, la pile technologique, sera Android. De futurs « Chromebooks » seront, techniquement, des appareils livrés sous « Android OS ».

Les moteurs stratégiques de cette décision sont clairs. Le premier est la course à l’IA. Sameer Samat l’a explicitement déclaré : l’objectif est « d’accélérer tous les progrès de l’IA que nous faisons sur Android et de les amener au format ordinateur portable ». La pile IA d’Android évolue plus rapidement et dispose d’une communauté de développeurs plus large. Le second moteur est la guerre des écosystèmes. L’ambition est de créer « un équivalent de macOS/iOS/iPadOS, mais version Android ». Google met fin à sa propre fragmentation interne  pour enfin proposer l’expérience unifiée et fluide qui fait la force d’Apple. 

Une question architecturale se pose alors : quid de Fuchsia? Ce système d’exploitation non-Linux, développé par Google et basé sur le micro-noyau Zircon, a longtemps été pressenti comme le successeur universel d’Android et de ChromeOS. Cependant, la fusion annoncée pour 2026  est explicitement un rebasage sur Android. Android  et ChromeOS  étant tous deux basés sur le noyau Linux, l’OS unifié de 2026 sera, par conséquent, un système basé sur le noyau Linux.

Fuchsia n’est pas mort pour autant ; il représente le plan à plus long terme. La stratégie de Google semble se dessiner en deux étapes :

  1. Étape 1 (2026) : Consolider les piles applicatives et les interfaces utilisateur d’Android et ChromeOS sur le noyau Linux éprouvé.
  2. Étape 2 (Post-2026) : Faire migrer cet OS unifié et désormais cohérent vers le micro-noyau Zircon de Fuchsia.

Les travaux en cours sur « Starnix », une couche de compatibilité conçue pour exécuter des binaires Linux et des applications Android sur Fuchsia, confirment que Zircon est pensé pour, à terme, exécuter la pile Android. Mais la révolution de 2026 sera une consolidation Linux-sur-Linux.

Architecture du futur OS

Ce nouvel OS unifié résout élégamment la « crise d’identité » applicative. En rebasant le système sur Android, les applications Android deviennent natives. La machine virtuelle ArcVM, source de nombreuses critiques de performance  et de limitations hors ligne, est tout simplement éliminée.

L’interface utilisateur de type « bureau », force de ChromeOS, ne disparaîtra pas. Google prépare cette transition sur deux fronts simultanément. D’une part, l’expérience utilisateur de ChromeOS, appréciée pour son ergonomie clavier-souris, sera portée sur la pile technologique Android. D’autre part, Android lui-même, à partir des versions 15 et 16, se dote d’un « mode bureau » natif de plus en plus robuste, avec un support amélioré du multitâche fenêtré, s’inspirant ouvertement des travaux de Samsung sur DeX. Le nouvel OS de 2026 sera la fusion de ces deux efforts : une base technique Android solide avec le support natif du fenêtrage, coiffée de l’ergonomie éprouvée de ChromeOS.

Reste la question la plus critique pour les développeurs et les utilisateurs avancés : quel est l’avenir de Crostini, le sous-système Linux?. Si la base de l’OS devient Android, que devient la VM Debian? La fonctionnalité ne disparaîtra pas ; elle sera ré-architecturée. 

La pièce manquante du puzzle se trouve dans les développements récents d’Android 16. En parallèle de la fusion, Android intègre un « environnement de développement Linux » natif. Les descriptions techniques de cette fonctionnalité  sont sans équivoque : il s’agit d’une machine virtuelle Debian  bénéficiant d’une accélération GPU complète, fonctionnant au-dessus de l’Android Virtualization Framework (AVF) et de pKVM (protected Kernel-based Virtual Machine). C’est, fonctionnellement, la description exacte de Crostini. Google s’apprête donc à remplacer l’implémentation actuelle de Crostini (basée sur LXD) par l’AVF natif d’Android. Cela permet d’unifier la pile de virtualisation, de renforcer la sécurité  et de garantir que les développeurs conserveront leur « bac à sable » Linux  sur le nouvel OS « Android Desktop ».

Impact sur l’entreprise et la concurrence

Le défi majeur pour Google sera de rassurer les DSI. ChromeOS a bâti sa réputation sur une sécurité « de niveau entreprise », une image de robustesse que la marque « Android », souvent associée au BYOD (Bring Your Own Device), ne possède pas au même degré.

Paradoxalement, cette fusion pourrait faciliter l’adoption en entreprise. Comme le note une analyse, de nombreuses entreprises qui interdisent les Chromebooks (perçus comme un écosystème distinct à gérer) autorisent déjà les appareils Android, encadrés par des solutions de MDM (Mobile Device Management). En devenant « Android », le nouvel OS pour PC pourra s’intégrer plus facilement dans les politiques de sécurité et les outils de gestion de flotte existants. La clé du succès résidera dans la capacité de Google à garantir la continuité. La survie de la console Google Admin  et de la marque « Chrome Enterprise »  sera cruciale pour affirmer que le modèle de sécurité fondamental de ChromeOS (démarrage vérifié, sandboxing, mises à jour transparentes) constitue le socle du nouvel OS, et non l’inverse.

La concurrence, elle, a déjà commencé à réagir à cette manœuvre stratégique. La réponse de Microsoft est double. D’abord, une retraite : l’annonce de la fin de vie de Windows 11 SE, le concurrent direct de ChromeOS dans l’éducation, prévue pour 2026, n’est pas une coïncidence. Elle est survenue quelques jours seulement après la confirmation de la fusion par Google, signalant un abandon de la lutte frontale sur le matériel à bas coût.

Ensuite, un contournement : la véritable stratégie de Microsoft est le « Cloud PC ». Un paradoxe émerge : alors que Google alourdit son OS local en y intégrant les piles Android et Linux, Microsoft allège le sien en misant tout sur Windows 365. Google, loin de combattre cette tendance, l’encourage. Le Chromebook (et son successeur fusionné) est conçu pour être le meilleur client léger possible pour exécuter… Windows dans le cloud. En assurant une intégration parfaite de Microsoft 365  et en se positionnant comme un terminal sécurisé et économique pour Windows 365, Google adopte une stratégie « frenemy » (ami-ennemi). L’entreprise gagne sur tous les tableaux : elle vend le matériel  et la licence de gestion de flotte, quel que soit le système d’exploitation que l’utilisateur final exécute dans sa session.

Enfin, la réponse d’Apple est, en réalité, la cause de cette fusion. L’écosystème unifié macOS/iOS/iPadOS d’Apple  est la cible que Google cherche à atteindre. La fragmentation de son propre écosystème était devenue son plus grand handicap. Apple, de son côté, ne reste pas immobile et poursuit sa propre logique d’unification.

Alors, quel avenir pour ChromeOS ?

L’avenir de ChromeOS est un paradoxe : pour survivre, grandir et atteindre son plein potentiel au-delà de la niche éducative, il doit accepter de disparaître en tant que silo technique. Le système qui équipera les « Chromebooks » de 2026 et au-delà  sera fondamentalement un système Android, reposant sur un noyau Linux. Il sera habillé de l’interface utilisateur productive et de la philosophie de gestion sécurisée de ChromeOS.

Cette nouvelle plateforme exécutera les applications Android nativement, éliminant la virtualisation et ses problèmes. Elle continuera de servir les développeurs en exécutant des conteneurs Linux, non plus via Crostini mais via le framework de virtualisation natif d’Android (AVF). Enfin, elle continuera de promouvoir les PWA  comme des citoyens de première classe. Cette fusion, dictée par la nécessité d’une stratégie d’IA unifiée  et la concurrence féroce de l’écosystème Apple, représente le pari le plus important de Google sur l’avenir de l’informatique personnelle. Ce n’est plus une simple guerre de systèmes d’exploitation ; c’est la bataille pour définir l’écosystème informatique unifié de la prochaine décennie.